Mme Denise
MENARD
122, rue
Camille Groult
Bât Orion
94400
Vitry-sur-Seine
adresse en
Bretagne
Ker
Guevellenn
8, rue Dugay
Trouin
22380 St CAST LE GUILDO
M. Georges Pernoud
France 3
Thalassa
Les Vigies du littoral
Vitry-sur-seine, le 9 septembre
2008
Monsieur,
J'ai appris par la télévision que
vous envisagiez de réaliser une série d'émissions sur le littoral de la France
et outre-mer et que vous engagiez les téléspectateurs à vous faire part de leurs
observations critiques.
Il se trouve que depuis 85 ans,
j'ai passé la plus grande partie de
mes vacances à St CAST-LE GUILDO en Côtes
d'Armor où se trouve la maison familiale acquise par mes parents. J'ai
du reste
failli y naître et j'y ai vécu au début de la guerre 39-45. C'est dire si j'ai
vu évoluer le village,
le petit port et la plage.
Certes St CAST est depuis longtemps
une station balnéaire, avec ses hôtels, ses villas et ses touristes, mais les
municipalités successives avaient su, avant et après guerre, préserver le charme
et l'harmonie de cette station
balnéaire discrète et tranquille, située dans une
baie superbe avec une plage de 2 km de long, du sable fin et
d'adorables petites
criques autour. « Nos anciens » et, à leur suite, les aménageurs et
les architectes,
faisaient en sorte que les constructions de pierre qui
festonnaient la côte sharmonisent, sépousent, sans jamais
heurter le relief
des falaises et des dunes qui rejoignaient dun côté la grève et la mer, de
lautre, se glissaient
vers les champs et les bois. C'était l'alliance de la
mer, de la plage et de la campagne : le quartier des
pêcheurs dit
« lIsle » à celui des cultivateurs dit « le Bourg » et
celui dit « les
Mielles », du nom des cultures qui saccrochaient aux
dunes et qui est devenu celui des baigneurs.
Les opérations d'aménagement, même
de grande ampleur, respectaient
cela : la grande digue longeant la plage
fut construite avant la guerre, la courbe en est très pure et,
la nuit, les
bateaux se guident parfois en repérant l'éclairage de ce boulevard de la
mer.
Un visiteur pressé peut avoir le
sentiment aujourdhui que le site est
encore préservé s'il le compare à d'autres
côtes, largement bétonnées. Le littoral aux alentours de St-CAST est
en effet
peu loti et les politiques qui en limitent le mitage semblent pour l'instant
porter leurs fruits. Mais
est-ce la rançon de cette préservation ?- le
village de St-CAST lui-même, son port, ses coteaux, ses dunes
et tous ses
chemins, voies et placettes qui en constituait le charme sont en train de
disparaître sans que les
municipalités les plus récentes ne s'en émeuvent, bien
au contraire !.
Les choses ne datent pas d'hier,
mais les transformations ont pris
ces dernières années un rythme inégalé à tel
point qu'on peut parler aujourdhui de scandale.
St CAST fut donc longtemps une
plage familiale paisible, puis vers
les années 70-80, on parla par à coups, de
la réveiller. Il lui fallait un casino, un grand port de plaisance et
de pêche,
un centre de thalassothérapie.
Heureusement, il y eut de la résistance, le
réalisme économique
et, les
projets successifs tombèrent à l'eau ! Les
promoteurs semblèrent se détourner de la Côte d'Armor pour
accumuler les
blessures dans le Morbihan. Puis vint à nouveau notre tour subrepticement. On
prolongea la jetée du
petit port Jacquet et l'on y planta en plein milieu une
résidence d'été dite « la Capitainerie »,
un parallélépipède de béton,
sans toit, qui coupe la pente de la falaise et blesse le paysage : une
horreur
vue de la plage et c'est encore plus laid lorsqu'on vient de la mer.
D'autres projets d'immeubles
identiques sur le même boulevard ont
été stoppés grâce à de nombreuses pétitions
de propriétaires ou d'associations de défense de l'environnement.
Qu'on me comprenne bien : ce
que je trouve scandaleux, ce n'est
pas que St-CAST évolue - c'est dans l'ordre
des choses mais c'est la nature et les effets de ces
transformations. Plus
encore : c'est le silence dans lequel elles s'opèrent.
Car depuis 8, 10 ans, la folie
immobilière (n'importe où, n'importe
comment) s'est imposée, avec parfois comme
argument la densification des zones déjà construites,
« contrepartie »
quelle ironie - du gel des zones protégées. En réalité, c'est à une
destruction
systématique des paysages habités de notre littoral que l'on
assiste. Car, naturellement, d'un lotissement à
l'autre, il ne sagit plus de
maisons en pierre de pays, en grès ou en granit, avec des toits en ardoise -
c'est
trop cher, on peut le comprendre -mais des maisons de type
« Île-de-France », vaguement adaptées,
que l'on voit aussi bien dans
le Nord que dans le Midi, qui poussent comme des champignons, les unes contre
les
autres et sont destinées aux estivants, les autochtones ne trouvant pas à se
loger à St CAST. Nous assistons
aussi à la floraison de petits immeubles
ciment-béton garanti- avec des parkings bien en vue. On installe des
oliviers et
des palmiers (pour faire croire aux Anglais quils sont sur la Riviera ?)
mais on coupe les
arbres de la place Pellion qui, à 50m de la plage, opéraient,
une transition avec la végétation du coteau. On
inscrit à l'inventaire du
patrimoine les villas les plus remarquables (certaines antérieures à 1900) et
l'on
s'empresse de combler tous les interstices restants avec des immeubles
massifs qui les écrasent et en masquent
la vue aux passants.
Tout cela est ridicule et triste,
fait
au nom de la rentabilisation de la station et d'hypothétiques créations
d'emplois, véritable miroir aux alouettes
interdisant toute discussion. C'est le
cas de la dernière initiative : la construction d'un GRAND PORT DE
PLAISANCE.
Pour cela, on est en train de
bétonner et d'unir
le Bec rond (célèbre rocher, si l'on en croit le nombre de
posters photographiques qui s'en vendent) à d'autres
rochers pour fermer la baie
du côté de la plage et réaliser ce grand port rêvé comme à Saint-Quay-Portrieux,
à Perros-Guirec ou à Trébeurden, toutes ces constructions qui ont enlaidi la
côte sans enrichir les communes.
Et pour qui ? Pour des plaisanciers qui,
paraît-il, manquent d'anneaux mais chacun sait que la plupart
des bateaux ne
bougent pas ou si peu : en moyenne ¼ d'heure par an. Et la pêche ?
Elle a toujours été
de faible ampleur (d'où sa qualité) et les quotas sont là
désormais qui limitent le travail des pêcheurs déjà
victimes des variations
des prix du pétrole.
Et les conséquences
de la
construction de ce port du côté de la plage ? Personne ne le connaît.
Pollution, Envasement ?
Quelles sont les études, où et quand ont-elles été
rendues publiques ? Il n'y en a pas. Tout le paysage va
changer. La baie de
St CAST sera largement fermée et les bassiers ne pourront plus aller ramasser
coquillages
et crevettes sur cette parie si fertile de l'estran. Et l'on parle
de commerces, d'installations sanitaires,
d'animation pour des hôtes de passage,
sans en évaluer les nuisances et l'impact sur l'environnement.
Et la mer, que va-t-elle
faire ? C'est le mystère de la
nature qui parfois se rebelle, bien
heureusement.
Je suis de celles et ceux qui se
sont battus contre ce
projet dément, mais c'est le pot de terre contre le pot de
fer ; il y a sans doute trop d'intérêts et
d'argent engagés pour que les
décideurs y renoncent : municipalité, département, Conseil régional,
Europe.
Bien sûr, cela va coûter plus cher que prévu mais on ne peut pas arrêter
la machine. Hors saison, depuis 10 mois,
un camion toutes les 10 minutes dépose
son chargement de pierre, de béton et de sable ! (ce sont là des
informations municipales).
Pauvre petite station de St CAST si
longtemps préservée au bout de sa presquîle ! Que va-t-elle de
venir ? À court terme un grand succès
commercial peut-être mais à long
terme, quand tout sera pareil, comme sur la Côte d'Azur, la Costa Brava, la
côte
Adriatique, avec le bruit, les lumières agressives et la dysharmonie partout,
les amoureux de la côte
d'Émeraude fuiront pour chercher ailleurs un havre de
paix et de beauté.
Je n'ai pas de photo, pas de vidéo,
pas de documents chiffrés
mais je suis sûre que d'autres que moi, mieux équipés,
vous auront déjà alerté !
Je tenais cependant à vous apporter
mon témoignage car ce n'est
pas en passéiste que je vous écris.
Le monde bouge et il est bien
évident que l'on ne peut vivre comme il y a 100 ans mais nous devons veiller
sur
notre patrimoine, sa beauté, sa différence ; pas simplement pour nous mais
pour nos enfants,
nos petits-enfants, pour ceux des autres et pour tous ceux qui
peuvent encore s'émouvoir en allant vers la
mer.
Merci de dénoncer toutes les
incongruités ou ignominies qui
détruisent le paysage de nos côtes et croyez à
toute mon estime et ma reconnaissance.
Denise
MENARD